PAROLE D’EXPERT
JUDICIARISATION DE LA RSE
Quelles conséquences pour les entreprises et les investisseurs ?
Directrice de l’Analyse ESG
OFI INVEST ASSET MANAGEMENT
La RSE était initialement fondée sur des approches volontaires et des textes de référence(1) issus du droit international, mais qui n’avaient pas de valeur contraignante.
La signature de l’Accord de Paris en 2015 a constitué une prise de conscience collective, pour agir et aller plus loin sur les enjeux climatiques et de durabilité afin que la transition écologique soit également une transition socialement juste. S’en est alors suivi un renforcement des cadres réglementaires et législatifs, mais aussi des actions en justice.
La France a posé un premier cadre avec l’adoption en mars 2017 d’une loi sur le devoir de vigilance(2) obligeant les grandes entreprises françaises à mettre en place un plan de vigilance afin d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes aux droits humains fondamentaux, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société ou de ses sous-traitants. Cette loi a introduit une disposition engageant la responsabilité civile des sociétés chargées de la mise en oeuvre de ces plans de vigilance en cas de de préjudice. En Allemagne, une loi sensiblement similaire a été adoptée en 2023, mais elle ne prévoit qu’un système de sanctions administratives à l’encontre des entreprises.
Au niveau européen, l’arsenal législatif s’est, lui aussi, renforcé autour du Pacte Vert (Green Deal), pour répondre aux objectifs d’atteinte de neutralité carbone en 2050. Ont ainsi vu le jour, les textes, tels que le règlement sur la taxonomie verte, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui vise à harmoniser et à fiabiliser le reporting extra-financier des entreprises, ou encore le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui concerne les produits financiers. Ces textes visent une plus grande transparence de la part des entreprises et des acteurs financiers. Ils sont assortis d’un système de contrôles, mais pas de sanction.
Ce n’est pas le cas d’autres textes européens, comme la directive européenne sur le devoir de vigilance(3), qui prévoit un système de sanctions administratives, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires net mondial, et des poursuites judiciaires en responsabilité civile avec de possibles indemnisations des victimes d’incidences négatives. Les règlements sur le travail forcé et le règlement visant à interdire la mise sur le marché ou l’exportation depuis le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts sont assortis, eux aussi, d’un système de contrôles - notamment douaniers - et de sanctions qui incluent, entre autres, des amendes.
Enfin, la responsabilité des entreprises, peut aussi être engagée sur le plan pénal. C’est le cas avec la directive sur la criminalité environnementale, adoptée en mars 2024, qui prévoit une liste d’infractions pénales et reconnaît le crime d’écocide(4).
Face à ces exigences législatives et réglementaires, nous assistons depuis quelques années à une multiplication des actions en justice à l’encontre de grandes entreprises, de la part notamment d’organisations de la société civile.
En France, des grands groupes, tels que La Poste, Casino, Yves Rocher, Carrefour, Auchan, Danone ou encore Total Energies* ont été poursuivis pour manquement à leur devoir de vigilance. Les griefs, derrière ces manquements allégués au devoir de vigilance, sont divers : emploi de personnes sans papiers dans la chaîne de sous-traitance, atteinte à la liberté syndicale, contribution à la déforestation, inaction contre la pollution plastique, projets d’oléoduc controversé en Ouganda en raison de ses impacts environnementaux et portant atteintes aux communautés locales...
Reste, qu’au-delà de ces poursuites et du fort écho médiatique qu’elles reçoivent, les contours judiciaires du devoir de vigilance doivent être mieux encadrés, et une chambre dédiée au sein de la Cour d’appel de Paris a été mise en place pour juger ces contentieux début 2024(5).
Selon les principes pour l’investissement responsable, les investisseurs doivent considérer tous les facteurs générateurs d’investissement à long terme, et notamment les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Cela relève de leur responsabilité fiduciaire(6). Outre la prise en compte des facteurs ESG, la réglementation européenne - notamment la directive SFDR - demande aux investisseurs d’être transparents sur l’intégration de ces critères ESG et de tenir compte des incidences négatives en matière de durabilité. Une obligation de transparence, que l’on retrouve en France avec la loi Énergie Climat, au nom de laquelle les investisseurs rendent compte de ces éléments, mais également de leur stratégie climatique et leur stratégie pour lutter contre la perte de biodiversité.
Les évolutions réglementaires en matière de durabilité qui s’appliquent aux entreprises et la hausse des actions en justice qui les accompagnent ont un impact dans l’analyse des investissements et les choix de gestion qui en découlent.
La prise en compte de ces évolutions se matérialise à travers la notation ESG des entreprises, le suivi des controverses auxquelles elles font face, mais aussi l’analyse de leur capacité à gérer les risques identifiés et à apporter des mesures de remédiation en cas de manquement. À côté de ce volet de gestion des risques, l’investisseur peut aussi actionner deux leviers que sont l’engagement actionnarial et le vote pour inciter les entreprises à progresser dans la prise en compte des enjeux de durabilité. Ces leviers peuvent être activés individuellement ou collectivement, via des coalitions d’investisseurs pour interpeler certains émetteurs sur des sujets très précis comme les stratégies climatiques, via le dépôt de résolutions climatique, dites « Say on Climate », par exemple, ou sur d’autres thématiques telles que le respect de droits humains, la lutte contre la pollution plastique, la déforestation….
Les activités du secteur financier et les impacts sociaux et environnementaux des investissements et financements sont, eux aussi, passés au crible par les acteurs de la société civile. Chaque année, des ONG mènent des campagnes et publient des rapports sur les impacts climatiques(7) et sociétaux(8), liés aux investissements et financements de projet(9), qui constituent un réel risque réputationnel.
Le risque judicaire existe aussi. En février 2023, la banque BNP Paribas* a notamment été assignée en justice par Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et Oxfam France pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique(10). Une première, et certainement le début d’une série, qui met en lumière la responsabilité civile de tous les acteurs dans la lutte contre les incidences négatives en matière de durabilité.
Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) fixe aux entreprises de nouvelles normes et obligations de reporting extrafinancier. Elle concerne les grandes entreprises et les PME cotées en bourse.
L'objectif de cette directive est d'encourager les entreprises à être plus transparentes sur leurs actions en matière de développement durable.
Leur reporting extra-financier porte sur les données ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance). Il s'agit :
- des facteurs environnementaux : atténuation et adaptation au changement climatique, biodiversité, utilisation des ressources...
- des facteurs sociaux : égalité des chances, conditions de travail et respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales...
- des facteurs de gouvernance : rôle des organes d'administration, activités de lobbying, gestion des relations avec les partenaires commerciaux...
Les informations communiquées par l'entreprise doivent être certifiées par un commissaire aux comptes ou par un organisme tiers indépendant accrédité.
Le règlement européen Sustainable Finance Disclosure Regulation, dit SFDR, a pour objectif de promouvoir la durabilité dans le secteur de la finance en Europe.
Ainsi, les acteurs qui commercialisent ou conseillent des produits financiers dans l’Union européenne ont des obligations de transparence sur les critères extra-financiers ou critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), afin notamment de faciliter la comparaison entre les produits financiers.
Les sociétés de gestion doivent utiliser la classification ci-dessous pour donner aux investisseurs des informations claires et comparables sur la durabilité de leurs investissements.
Trois catégories de produits financiers sont définies par le SFDR en fonction de leur contribution à la durabilité :
- Les placements dits « Article 9 » qui présentent un objectif d'investissement durable.
- Les placements dits « Article 8 » qui déclarent la prise en compte de critères sociaux et/ ou environnementaux.
- Les placements dits « Article 6 » qui n'ont pas d'objectif d'investissement durable et ne déclarent pas prendre en compte les critères ESG. Ce sont tous les autres placements qui ne sont ni « Article 8 » ni « Article 9 ».
Achevé de rédiger le 29/10/2024
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