Méthodologie ESG : les 4 clés pour des investissements responsables
Valérie DEMEURE
Directrice de l'analyse ESG
Réduire l’activité d’une entreprise à sa seule composante capitalistique et financière est désormais une approche révolue. Au regard de l’urgence climatique et d’exigences sociales croissantes, répondre à des impératifs de durabilité et adopter un positionnement responsable constitue un minimum incontournable, qui passe notamment par un effort notable de transparence. Pour les acteurs de l’investissement, faire le tri entre les acteurs économiques implique le recours à une méthodologie éprouvée. Valérie Demeure, Directrice de l’analyse ESG chez Ofi Invest Asset Management, nous explique comment la prise en compte des critères ESG est intégrée dans la gestion des risques d’investissement.
La notation ESG, point de départ du processus
La bonne prise en compte des critères ESG par les entreprises est le point de départ pour jauger de leur performance sur les enjeux liés à l’environnement, aux enjeux sociaux et sociétaux, et à la gouvernance. Quelles conséquences l’activité d’une entreprise peut-elle avoir sur ses clients, ses salariés, ses fournisseurs, ses actionnaires et investisseurs, et la société dans son ensemble ?
Étudier la manière dont l’entreprise adresse ces enjeux, permet de se prémunir de risques sur le long terme. « À l’image d’une notation crédit, nous avons développé un processus de notation ESG, explique Valérie Demeure. Selon les entreprises et leur secteur d’activité, notre équipe de recherche ESG s’attache à déterminer les enjeux de durabilité qui sont les plus matériels. Une entreprise dans l’industrie n’aura pas les mêmes défis à relever qu’une entreprise du secteur tertiaire. La première aura un certain nombre de problématiques à relever sur le plan environnemental, comme la lutte contre le changement climatique ou la gestion des déchets. Pour la seconde, un acteur de la finance, par exemple, nous donnerons plus de poids à ce qui touche à l’éthique des affaires, comme les procédures de lutte contre la corruption ou le blanchiment d’argent, ou l’information dispensée aux clients sur les risques liés à des produits financiers par exemple. »
Ofi Invest Asset Management a ainsi mis en place un modèle de notation propriétaire, doté d’un système de pondération de ces enjeux en fonction des risques encourus par l’entreprise, qu’ils soient réputationnels, légaux, opérationnels ou qu’il s’agisse de risque d’opportunité de marché. Parmi les critères ESG, la gouvernance est considérée comme une élément-clé. « Nous considérons la gouvernance comme étant le pilier de la durabilité pour les entreprises. En effet, d’une bonne gouvernance découle la bonne prise en compte des risques sociaux et environnementaux. Le poids de la gouvernance représente dès lors a minima 40 % de la note ESG », souligne la Directrice de l’analyse ESG.
Réputation des entreprises : l’indispensable suivi des controverses
Autre spectre d’analyse des entreprises pour une intégration éventuelle ou son maintien dans un portefeuille d’investissement : le suivi des controverses. « Une controverse est un événement, le plus souvent relayé par les médias, lié à une thématique de durabilité pour l’entreprise qui a un impact sur celle-ci. Les impacts des controverses sont divers, ils peuvent être réputationnels, mais aussi judiciaires, opérationnels, voire financiers. Ils constituent ce que l’on appelle des incidences négatives », précise Valérie Demeure. Ces controverses dites « ESG » portent sur des sujets variés.
Il peut s’agir de cas de discrimination dans une entreprise, d’incidents qui créent une pollution environnementale conséquente, d’un rappel de produit défectueux suite à des plaintes d’usagers ou non, etc. » Le suivi des controverses fait partie intégrante du processus d’analyse ESG. Il permet de confronter les déclarations et engagements d’une entreprise avec ses pratiques.
Scandales alimentaires, sanitaires, financiers, écologiques, humains… Les exemples de controverses d’entreprises parsèment la presse financière. « Selon leur gravité et la gestion sous-jacente qui en est faite par l’entreprise, les conséquences peuvent être lourdes, avec des amendes, des procès… En Bourse, la sanction venant des investisseurs peut être très soudaine. Parfois, c’est tout le secteur d’activité qui subit la contagion. L’affaire Orpea en est une illustration, nombreux sont les concurrents qui ont été éclaboussés par la controverse », précise la spécialiste de l’ESG, qui insiste sur la nécessité de rentrer en contact direct avec les entreprises pour obtenir des éléments sur la gestion de ces risques, et ainsi apprécier, non seulement sévérité, mais aussi la gestion dans son ensemble par l’entreprise du risque de la controverse. « Une entreprise qui remédie bien à une controverse existante rassure et cela peut indiquer que le dommage est circonscrit, » complète-t-elle.
Des politiques d’exclusions nuancées
Des exclusions normatives et sectorielles complètent la méthode de sélection. Les exclusions normatives concernent notamment le respect des principes du Pacte mondial. Mis en place par les Nations Unies en 2000, le Pacte mondial contient dix principes, centrés autour de quatre thématiques : le respect des droits humains fondamentaux et l’absence de violations de ces droits, le respect des droits fondamentaux des salariés, la protection de l’environnement et, enfin, la lutte contre la corruption sous toutes ses formes.
Les exclusions sectorielles portent sur les sociétés des secteurs des énergies fossiles, du tabac, de l’huile de palme, des armes controversées. Le groupe de gestion d’actifs a adopté une politique d’exclusion sur le charbon thermique, et sur les entreprises du secteur pétro-gazier pour accompagner la décarbonation de l’économie. Les seuils d’exclusion sont fixés par rapport à des métriques précises telles que le chiffres d’affaires ou la production. « Au-delà des seuils d’exclusion, nous prévoyons quelques assouplissements. Par exemple, pour les entreprises actives dans le secteur du charbon thermique, si les entreprises s’engagent à devenir neutres en carbone d’ici à 2050, avec des objectifs à 2030, et si leur plans et objectifs de trajectoire sont crédibles et validés scientifiquement, selon l’initiative SBTi(1), nous les gardons en portefeuilles. En ce qui concerne le secteur pétro-gazier, nous avons des critères communs aux portefeuilles actions et aux portefeuilles obligataires, et d’autres spécifiques à cette dernière classe d’actifs. Être actionnaire offre un levier d’engagement et la possibilité d’interpeler une entreprise en assemblée générale ». Pour Valérie Demeure, il s’agit en effet « d’enjoindre les acteurs à se diriger vers des voies plus ambitieuses, vers la transition désirée. »
Le vote et l’engagement, moteurs du changement
Le vote et l’engagement sont les deux piliers fondamentaux de la démarche d’investisseur responsable d’Ofi Invest Asset Management. « En étant actionnaires, nous pouvons nous regrouper avec d’autres investisseurs, initier des dialogues pour obtenir plus d’informations sur la politique ESG de l’entreprise, précise l’experte. Ces rapprochements avec des pairs sont généralement bien perçus par les entreprises, et permettent d’engager et d’accompagner des plans de transition. » Ofi Invest Asset Management a ainsi rejoint la coalition d’investisseurs Climate 100+(2).
Par le vote, les gestionnaires d’actifs peuvent également s’opposer à certaines orientations ou décisions des entreprises en portefeuille, se prononcer sur la nomination de personnes à certains postes d’administrateurs, lors de cumuls de mandats, par exemple, ou encore contre des rémunérations de dirigeants qui paraissent excessives au regard de seuils déterminés et de codes de bonnes pratiques.
« Enfin, en tant qu’actionnaire, nous avons la possibilité de déposer des résolutions en assemblée générale. Cette année, avec d’autres investisseurs, nous avons ainsi déposé des résolutions climatiques dites ‘Say on Climate‘. Nous avons interpelé TotalEnergies et Engie, pour qu’elles communiquent d’avantage et adoptent des plans climatiques ambitieux, conformément à l’Accord de Paris. Ces résolutions, ne sont pas toujours contraignantes, mais par leur publicité et en fonction du soutien qu’elles obtiennent de la part des autres actionnaires, elles incitent fortement les entreprises à répondre publiquement de leurs actions. Hélas, le dépôt de résolutions est encore difficile en France, notamment administrativement, et le déposant doit réunir 0,5 % du capital de l’entreprise ce qui, bien souvent, implique des coalitions d’actionnaires », tempère Valérie Demeure. Des conditions d’assouplissement sont toutefois à l’étude par le gouvernement, pour favoriser le dialogue actionnarial, notamment pour les actionnaires minoritaires. En perspective : la possibilité de rendre les résolutions climatiques systématiques.
Achevé de rédiger le 4 juillet 2023.
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